Sur les premières pentes des Monts de Vaucluse, face au Luberon, le village des Bories, avec ses bergeries, ses fours à pain, cuves à vin, aires à battre le blé, ruelles, enclos et murs d'enceinte nous fait voyager dans l’histoire de la Provence des XVIII et XIX siècles.
Près de 3000 années de transmission de la construction en pierres sèches ont permis d’aboutir à la maitrise parfaite de cet art de bâtir. Il y a environ 300 ans, paysans, bergers et bâtisseurs de métier élèvent les cabanes présentes aujourd’hui dans la campagne gordienne.
Sur les premières pentes des Monts de Vaucluse, face au Luberon, le village des Bories, témoigne d’une importante activité agricole et pastorale. Sur ces collines où le sol est aride, il aura fallu toute l’ingéniosité et l’intelligence des hommes pour composer avec les éléments et façonner un nouveau paysage.
Le Village des Bories, classé monument historique en 1977, constitue le groupement le plus important de cet habitat de pierre sèche, caractéristique du pays d'Apt, dont la plus forte concentration se trouve sur le territoire de Gordes puisqu’on en dénombre plus de 400.
Abandonné à la fin du XIX siècle, les cabanes sont la proie de la végétation et les belles lauzes sont pillées. Dans les années 1960, Pierre Viala qui vient d’acquérir le terrain et une ferme toute proche, tombe sous le charme de ces cabanes et entreprend de les restaurer.
Organisé en musée d'habitat rural, le site baptisé Village des bories, abrite une collection d'objets et d'outils traditionnels de la région, et réunit une documentation sur le passé de Gordes, sur les bories et l'architecture de pierre sèche en France et dans le monde.
Découvrir le village des Bories, c’est un voyage et une leçon d’humilité. C’est appréhender le lien fort qui unie l’homme à sa terre. Cultures, constructions et aménagement du paysage résultaient d’une logique non apprise.
Histoire des Bories
Au commencement était la pierre
Les Monts de Vaucluse… et ses paysages de pierre
L’origine des cabanes
Comme toute architecture, les constructions en pierre sèche sont le reflet d’une évolution de la société française.
Aux 17ème et 18ème siècle le pays doit faire face à la croissance démographique et s’amorce alors une « boulimie de terres » pour éviter la « disette du grain ». Pour éviter la famine qui se profile, on permet aux paysans les plus démunis, aux ouvriers agricoles et à tout un petit peuple d’acquérir des terres vacantes et incultes souvent éloignées des villages ou des plaines plus fertiles.
A force de travail et de défrichements acharnés, de nouvelles terres sont conquises sur la forêt et la garrigue.
Lors de la création de ces parcelles de terres à cultiver, les pierres arrachées au sol à la barre à mine et ensuite soulevées par la charrue lors des labours sont une manne de matériaux inépuisable, très économique pour la construction et qui ne nécessite pas de transport. On construit in situ.
C’est à cette époque que les coteaux et les plateaux prennent un nouveau visage.
Borie ou bori ?
Le terme générique local de ce type de construction est tout simplement cabane. C’est aussi le terme que les puristes préfèrent puisque c’est le nom utilisé par les anciens pour désigner ces constructions. Pourtant aujourd’hui dans la région c’est le terme borie qui est communément utilisé.
Borie est l’équivalent français du provençal bori désignant un mas et vient du médiéval boveria, boria, étable à bœufs. On l’emploie sans distinction au féminin ou au masculin.
Inutilisées, les cabanes sombrent dans l’oubli pendant presque un siècle, elles deviennent vite la proie des ronces et servent de poste d’affût pour les chasseurs alors que les pierres sont pillées.
On doit leur redécouverte et leur sauvegarde à Pierre Viala, poète, écrivain, comédien et globe trotter qui arrive à Gordes dans les années 1960 et a un coup de foudre pour le village, sa campagne, ses bories. Il raconte :
« Nous sommes sûrement nombreux parmi « les venus d’ailleurs » à conserver intact le souvenir du choc émotionnel de la découverte de Gordes qui nous a conduits à y prendre racine. Pâques 1956 ! Après le fameux gel qui avait roussi la nature, quelle ivresse de courir la garrigue, véritable « terra incognita », autrefois cultivée, mais redevenue sauvage après des décennies d’abandon. Étonnement de n’y rencontrer âme qui vive, et si peu de maisons, toutes en ruines. Tout un monde évanoui dans un chaos minéral envahi par une végétation dévorante. Et les bories ! Dès cette époque je me suis passionné pour ces cabanes.
En 1968 j’ai appris que ces terres étaient mises en vente (…), je vendis ma maison et devins propriétaire des ruines de mes rêves et me consacrai au sauvetage des bories dont je me sentais désormais responsable (…) Les travaux de remise en état se sont échelonnés sur une période de huit années sans aucune aide financière, avec la précieuse collaboration d’excellents maçons de Gordes. (…) »
La passion qu’il vouait aux vieilles pierres et à l’histoire de Gordes, l’attachement à ce site unique et remarquable, et le respect du labeur et du savoir faire de nos anciens ont été les moteurs de Pierre Viala pour réaliser ce sauvetage et nous permettre de nous réapproprier notre patrimoine.
La restauration est couronnée par l’Académie d’Architecture.
Classement du site en 1977 parmi les Monuments Historiques.
1983 : Commune devient propriétaire et gestionnaire du site.
C’est aujourd’hui un des sites les plus visités du Vaucluse.
Ici, la roche calcaire est partout présente. Tendre, facile à extraire et à façonner, non gélive, elle était déjà exploitée par les Romains et aujourd’hui on trouve encore de nombreuses carrières dans la région. Mais la pierre qui identifie le mieux le paysage lithique des Monts de Vaucluse, et de Gordes en particulier, c’est le modeste matériau d’épierrage extrait des champs. Les hommes ont fait un usage exclusif de cette pierre bon marché, inépuisable, ne nécessitant aucun transport et accessible à tous. Grace à elle ils ont élevé sur les versants de la montagne du Luberon et des Monts de Vaucluse des milliers de constructions en pierre sèche, fruit d’un dur labeur et d’un savoir-faire ancestral..
Ce patrimoine bâti riche et varié participe à l’identité de notre paysage : clapas (amas de pierres en bordure des champs), restanques (terrasses), murs de soutènement, enclos, murs délimitant les champs ou encadrant sur des kilomètres des chemins, aiguiers, « apiès » ou murs à abeilles, cabanes ou bories.
La campagne gordienne abrite encore de nombreux et magnifiques témoins de cette architecture en sursis.
Le village des Bories de Gordes
Gordes, Luberon, Provenza
Ce hameau dit « Les Cabanes », avant d’être baptisé Village des bories, est situé à 4km de Gordes, à 270m d‘altitude.
Dépourvu de cimetière et d’église, ce hameau est typique de l’habitat temporaire qui, dans les pays méditerranéens, venait doubler le village permanent et était lié aux travaux agricoles saisonniers.
Son apparition résulte des grands mouvements de conquête des terres qu’à connus la Provence aux 17ème et 18ème siècles. La ruée sur les collines autour de Gordes est à l’origine des milliers de tonnes de pierres extraites du sol lors de la fabrication des champs qui donneront naissance aux différents groupes de cabanes que l’on retrouve sur ce plateau calcaire.Les parcelles défrichées étaient plantées de cultures « sèches » : muriers, amandiers, céréales, fourrage mais surtout oliviers. Tout près d’ici des moulins à huile d’une taille considérable nous renseignent sur l’activité phare de Gordes jusqu’au grand gel de 1956 : la production d’huile.
Les activités complémentaires étaient nombreuses et permettaient une valorisation de la main-d’œuvre familiale : élevage de petit bétail, miel, jardins, vergers, ramassage de plantes aromatiques, médicinales, cueillettes sauvages, boisillage, cavage de truffes, élevage du ver à soie…
Les maigres revenus tirés de l’exploitation de ces terres arides étaient pour les paysans un moyen d’échapper à la faim et au manque de grains qui souvent les menaçaient.
« La pierre sèche », une architecture de nécessité
Les principaux bâtisseurs sont de modestes paysans, des cultivateurs, et des bergers qui ont pratiqué l’auto construction avec la pierre qu’ils trouvaient in situ.
Les cabanes les plus grandes, d’une belle plasticité, et à l’architecture élaborée sont l’œuvre de professionnels, de maçons dont le nom est perdu mais qui étaient de véritables «maîtres» de la pierre sèche et qui nous ont laissé de magnifiques ouvrages.
L’expression « maçonnerie à pierre sèche » signifie la pose de pierres choisies et taillées sans recourir à du ciment ou autre liant : chaux ou terre.
Cette technique atteint un degré de perfection lors de la construction des cabanes et notamment de la voute en encorbellement, phase la plus délicate de l’assemblage des pierres.
La voute en encorbellement ne nécessite pas de coffrage. Les pierres sont disposées horizontalement ou même légèrement penchées vers l’extérieur pour empêcher les rentrées d’eau. Chaque rangée est en surplomb par rapport à la rangée inférieure. Les pierres sont soigneusement croisées et les rangs deviennent solidaires les uns des autres. Pour terminer la cabane on place au faitage de grosses dalles plates qui assurent la stabilité de la voute.
Les voutes en carène caractéristiques des cabanes de Gordes sont les plus délicates à élever.